vendredi 10 janvier 2014

La provocation en héritage



J'espère que personne ne croit que JC Decaux soit l'inventeur du concept de vélo en libre-service. A vrai dire, comment croire qu'un-e publicitaire ait pu inventer quoi que ce soit ? Il me semble néanmoins pertinent de rappeler que le Vélib' et autres déclinaisons ne sont que les avortons ratés (vous noterez la redondance parfaitement assumée) d'une idée lancée par un mouvement contestataire nommé les « provos ».

Les provos sont un groupe subversif que par paresse intellectuelle on qualifie souvent « d'extrême-gauche ». Il émerge aux Pays-Bas en 1965. Les provos puisent beaucoup de leur inspiration dans l'histoire de l'anarchie. Ils/elles s'inspirent également des révoltes populaires, de CoBrA, des lettristes et j'en passe. S'ils/elles sont assez difficilement classables, c'est aussi parce que peu enclins à théoriser leur révolte et qu'ils/elles n'ont pas laissé à la postérité un corpus idéologique très riche. Leur seul dogme pourrait bien avoir été l'improvisation. Cela ne les a pas empêché de marquer durablement les mouvements libertaires et écologistes européens. Ce n'est pas rien quand on pense que le noyau dur de ce mouvement informel ne comptait probablement qu'une trentaine de membres sur Amsterdam. Comme quoi les bonnes idées se diffusent facilement par capillarité.

Les provos avaient fait du blanc leur emblème. Le symbolisme en est assez basique : le blanc couleur de pureté. Tellement simple que même JC Decaux aurait pu y penser, un jour de grand bouillonnement intellectuel. Je tiens à dire qu'ici l'usage du blanc est « étranger »à toute connotation raciale. Leur « wit » s'oppose au « blank » qui définit la couleur de peau. Le blanc est ici plutôt à opposer à l'orange de la monarchie néerlandaise, une de leur cible favorite.

Fort de cet outillage symbolique somme toute très léger, les provos mèneront nombre d 'actions « blanches ». Ils ouvriront par exemple des « maisons blanches », c'est à dire des squats pour soulever la question du logement. Mais, si je vous parle d'eux aujourd'hui c'est en référence à leur plan le plus connu : les « witte fiets », les « vélos blancs ». Forts concerné-e-s par les problèmes d'urbanisme, les provos vouaient une haine farouche à l'automobile. Ils/elles clamaient que «la terreur exercée sur l'asphalte par la bourgeoise motorisée a duré trop longtemps ». Le plan vélos blancs dit « provocation n°5 » proposait de mettre à disposition, en libre-service gratuit, un très grand nombre de bicyclettes. L'objectif était qu'à terme leur nombre soit tel que le centre-ville d'Amsterdam soit interdit aux automobiles. Un premier lot de 50 vélos blancs fut mis à disposition de la population. Nombre parfaitement dérisoire ? Cela n'a pourtant pas été du goût des autorités, la police dans une soudaine frénésie de rigorisme, s'est mise à arrêter quiconque chevauchait un vélo blanc et, par amalgame, le/la considérait comme un-e dangereux provo. Les vélos furent rapidement confisqués sous le fallacieux prétexte qu'ils ne disposaient pas d'antivol. Ne me demandez pas si cet artifice était légal, je n'en ai pas la moindre idée. En tous cas, la symbolique de l'action a semble-t-il beaucoup plus à nombre d'habitant-e-s. Elle a marqué durablement les esprits et attiré sympathie et reconnaissance aux provos.

Si la « provocation n°5 » ressemble en pratique à un échec, l'idée de vélos en libre-service avait désormais germé et allait connaître une destinée fertile. En France, le premier projet de vélos en libre-service est lancé avec flonflons et majorettes en 1974 à La Rochelle. Une flotte de 350 vélos jaunes est mise à disposition dans 3 stations. La suite vous la connaissez.

Les provos avait visé juste avec les vélos blancs, en pionniers ils/elles avaient compris que par sa simplicité même, le vélo pouvait contribuer à remodeler le visage de nos villes. S'il le fallait, cela prouve que l'écologie ne peut être réduite à une question technique et qu'elle est avant tout affaire de choix sociaux. Cela mérite d'être médité dans une période où beaucoup espèrent une résolution de la crise écologique par un énième surplus de technologie. Pourtant , comme le vélo, beaucoup d'outils puissants existent déjà, il nous reste à trouver l'intelligence collective. Enfin, je ne peux finir sans pointer le fait que le cerveau étroit de Mr. Decaux a dans sa conception du libre-service oublié la notion cruciale de gratuité... J'espère qu'un jour où l'autre, nous remédierons à cet oubli. Tout comme la santé et l'éducation, se déplacer est une nécessité humaine, alors pourquoi les transports collectifs ne seraient-ils pas gratuits ? Vaste chantier à peine ouvert.

Pour la toute petite histoire, il faut savoir que la vélorution angevine lorsqu'elle éclairait le monde de sa toute-puissance avait lancé le projet de « libérer » des vélos peints en blanc. De mémoire quatre ou cinq vélos avaient été préparés mais la dynamique s'est essoufflée et aucun lâcher de « vélos sauvages », tels qu'ils étaient nommés, n'a eu lieu.

Si vous voulez aller au delà de mes raccourcis et approximations quant à  l'histoire et l'héritage des provos, vous pouvez vous procurer le bouquin suivant : Provos, Amsterdam 1965-1967, éd. Nautilus, 2009. Je ne l'ai pas encore lu mais je compte bien terroriser mes ami-e-s libraires jusqu'à ce qu'ils/elles en commandent un ou deux exemplaires. De manière plus succincte, je vous conseille ce billet chez Article 11.

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