J'espère que personne ne croit que
JC Decaux soit l'inventeur du concept de vélo en libre-service. A
vrai dire, comment croire qu'un-e publicitaire ait pu inventer quoi
que ce soit ? Il me semble néanmoins pertinent de rappeler que
le Vélib' et autres déclinaisons ne sont que les avortons ratés
(vous noterez la redondance parfaitement assumée) d'une idée lancée
par un mouvement contestataire nommé les « provos ».
Les provos sont un groupe subversif que
par paresse intellectuelle on qualifie souvent
« d'extrême-gauche ». Il émerge aux Pays-Bas en
1965. Les provos puisent beaucoup de leur inspiration dans l'histoire
de l'anarchie. Ils/elles s'inspirent également des révoltes
populaires, de CoBrA, des lettristes et j'en passe. S'ils/elles sont
assez difficilement classables, c'est aussi parce que peu enclins à
théoriser leur révolte et qu'ils/elles n'ont pas laissé à la
postérité un corpus idéologique très riche. Leur seul dogme
pourrait bien avoir été l'improvisation. Cela ne les a pas empêché
de marquer durablement les mouvements libertaires et écologistes
européens. Ce n'est pas rien quand on pense que le noyau dur de ce
mouvement informel ne comptait probablement qu'une trentaine de
membres sur Amsterdam. Comme quoi les bonnes idées se diffusent
facilement par capillarité.
Les provos avaient fait du blanc leur
emblème. Le symbolisme en est assez basique : le blanc couleur
de pureté. Tellement simple que même JC Decaux aurait pu y
penser, un jour de grand bouillonnement intellectuel. Je tiens à
dire qu'ici l'usage du blanc est « étranger »à toute
connotation raciale. Leur « wit » s'oppose au « blank »
qui définit la couleur de peau. Le blanc est ici plutôt à opposer
à l'orange de la monarchie néerlandaise, une de leur cible
favorite.
Fort de cet outillage symbolique somme
toute très léger, les provos mèneront nombre d 'actions
« blanches ». Ils ouvriront par exemple des « maisons
blanches », c'est à dire des squats pour soulever la question
du logement. Mais, si je vous parle d'eux aujourd'hui c'est en
référence à leur plan le plus connu : les « witte
fiets », les « vélos blancs ». Forts concerné-e-s
par les problèmes d'urbanisme, les provos vouaient une haine
farouche à l'automobile. Ils/elles clamaient que «la terreur
exercée sur l'asphalte par la bourgeoise motorisée a duré trop
longtemps ». Le plan vélos blancs dit « provocation
n°5 » proposait de mettre à disposition, en libre-service
gratuit, un très grand nombre de bicyclettes. L'objectif était qu'à
terme leur nombre soit tel que le centre-ville d'Amsterdam soit
interdit aux automobiles. Un premier lot de 50 vélos blancs fut mis
à disposition de la population. Nombre parfaitement dérisoire ?
Cela n'a pourtant pas été du goût des autorités, la police dans
une soudaine frénésie de rigorisme, s'est mise à arrêter
quiconque chevauchait un vélo blanc et, par amalgame, le/la
considérait comme un-e dangereux provo. Les vélos furent rapidement
confisqués sous le fallacieux prétexte qu'ils ne disposaient pas
d'antivol. Ne me demandez pas si cet artifice était légal, je n'en
ai pas la moindre idée. En tous cas, la symbolique de l'action a
semble-t-il beaucoup plus à nombre d'habitant-e-s. Elle a marqué
durablement les esprits et attiré sympathie et reconnaissance
aux provos.
Si la « provocation n°5 »
ressemble en pratique à un échec, l'idée de vélos en
libre-service avait désormais germé et allait connaître une
destinée fertile. En France, le premier projet de vélos en
libre-service est lancé avec flonflons et majorettes en 1974 à La
Rochelle. Une flotte de 350 vélos jaunes est mise à disposition
dans 3 stations. La suite vous la connaissez.
Les provos avait visé juste avec les
vélos blancs, en pionniers ils/elles avaient compris que par sa
simplicité même, le vélo pouvait contribuer à remodeler le visage
de nos villes. S'il le fallait, cela prouve que l'écologie ne peut
être réduite à une question technique et qu'elle est avant tout
affaire de choix sociaux. Cela mérite d'être médité dans une
période où beaucoup espèrent une résolution de la crise
écologique par un énième surplus de technologie. Pourtant ,
comme le vélo, beaucoup d'outils puissants existent déjà, il nous
reste à trouver l'intelligence collective. Enfin, je ne peux finir
sans pointer le fait que le cerveau étroit de Mr. Decaux a dans sa
conception du libre-service oublié la notion cruciale de gratuité...
J'espère qu'un jour où l'autre, nous remédierons à cet oubli.
Tout comme la santé et l'éducation, se déplacer est une nécessité
humaine, alors pourquoi les transports collectifs ne seraient-ils pas
gratuits ? Vaste chantier à peine ouvert.
Pour la toute petite histoire, il faut
savoir que la vélorution angevine lorsqu'elle éclairait le monde de
sa toute-puissance avait lancé le projet de « libérer »
des vélos peints en blanc. De mémoire quatre ou cinq vélos avaient
été préparés mais la dynamique s'est essoufflée et aucun lâcher
de « vélos sauvages », tels qu'ils étaient nommés, n'a
eu lieu.
Si vous voulez aller au delà de mes raccourcis et approximations quant à l'histoire et l'héritage des provos, vous pouvez vous
procurer le bouquin suivant : Provos, Amsterdam 1965-1967, éd.
Nautilus, 2009. Je ne l'ai pas encore lu mais je compte bien
terroriser mes ami-e-s libraires jusqu'à ce qu'ils/elles en
commandent un ou deux exemplaires. De manière plus succincte, je vous conseille ce billet chez Article 11.
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