Que penser de quelqu'un qui se propose
de replacer le vélo dans une histoire des déplacements urbains en
Europe couvrant une période allant de 1817 à 2050 ? Si on m'avait
posée la question il y a quelques jours, je me serai permis de
proposer plusieurs hypothèses quant au résultat : thèse
destinée à faire ployer une étagère dans une quelconque
université oubliée, compilation autistique de milliers de pages
internet, fatras d'anecdotes destinées à satisfaire l'égo d'un
écrivaillon en manque de reconnaissance, délire prédictif d'un
astrologue monomaniaque ?
Le retour de la bicyclette, n'a
heureusement rien de tout cela et force est de constater qu'il
réalise la gageure de réussir cette improbable histoire des
déplacements.
Frédéric Héran, son auteur, s'en
tire avec brio. Ce livre est une réussite à de nombreux points de
vues. La naissance de la bicyclette et sa maturation en tant
qu'innovation et objet technique y est fort clairement
résumée. L'auteur ne fait jamais abstraction du contexte social et
culturel. Cette approche riche d'enseignements permet de poser des
jalons à l'histoire du vélo : période où elle apparaît aux
élites comme un symbole de modernité, appropriation par les classes
laborieuses, effondrement de sa pratique et comment elle a été
chassée des villes pour l'automobile. Aucun aspect n'est négligé.
Le livre explicite aussi très bien le tournant des années 70 qui
marque dans certains pays et villes (surtout au nord de l'Europe) la
renaissance de la petite reine alors que d'autres comme la France,
filent dans le décor et prennent un retard considérable que nous peinons aujourd'hui
encore à combler.
En replaçant le vélo dans un contexte
de concurrence entre les différents modes de transports, l'auteur
fait place nette dans les esprits et évacue toutes les idées reçues
et les pseudos bonnes intuitions qui justifieraient la place du vélo
dans les diverses pays européens. Surtout, ce contexte de concurrence est une incitation à élaborer des politiques visant à juguler la place de l'automobile (l'auteur parle plus volontiers de "modération") dans nos villes si nous voulons vraiment que le vélo reprenne la place qui lui est due et surtout que la circulation s'apaise.
En même temps, il hiérarchise
parfaitement les motivations qui mènent à l'usage du vélo. En
opérant ce tri, il donne des clés pour que le vélo gagne à lui de
nouveaux publics trop souvent ignorés. Il insiste aussi sur le fait
que le vélo comme tout mode de transport a besoin d'un système :
pouvoir se déplacer rapidement et en sécurité certes, mais aussi
pouvoir se garer facilement, faire entretenir et réparer, que son
image et sa pratique soit promus, etc. L'absence d'un de ces maillons
fragilise la totalité du système et la pratique du vélo ne décolle
pas restant cantonnée à la marge.
Le livre se conclut par un essai de
prospective. Cette petite partie me laisse plus dubitative. La place
du vélo qui y est avancée me paraît tout à fait envisageable.
Mais, je serai moins optimiste que l'auteur qui semble penser qu'une poussée d'aspirations sociales infléchira positivement le
verdissement du capitalisme que nous connaissons actuellement et contribuera à une société plus démocratique. Je reste sceptique quant l'avènement de ce
genre de progrès sans changement radical de société et de système économique.
Néanmoins, je ne peux que vous inviter
à vous procurer cet ouvrage, vous l'aurez compris, c'est à la fois
un excellent travail de compréhension du passé en même
temps qu'une redoutable boite à outil pour agir et changer le
présent et, espérons-le, le futur.
Le retour de la bicyclette, Une
histoire des déplacements urbains en Europe de 1817 à 2050,
Frédéric Héran, La Découverte, 2014.
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