lundi 2 juin 2014

Retour sur le futur


Que penser de quelqu'un qui se propose de replacer le vélo dans une histoire des déplacements urbains en Europe couvrant une période allant de 1817 à 2050 ? Si on m'avait posée la question il y a quelques jours, je me serai permis de proposer plusieurs hypothèses quant au résultat : thèse destinée à faire ployer une étagère dans une quelconque université oubliée, compilation autistique de milliers de pages internet, fatras d'anecdotes destinées à satisfaire l'égo d'un écrivaillon en manque de reconnaissance, délire prédictif d'un astrologue monomaniaque ?

Le retour de la bicyclette, n'a heureusement rien de tout cela et force est de constater qu'il réalise la gageure de réussir cette improbable histoire des déplacements.

Frédéric Héran, son auteur, s'en tire avec brio. Ce livre est une réussite à de nombreux points de vues. La naissance de la bicyclette et sa maturation en tant qu'innovation et objet technique y est fort clairement résumée. L'auteur ne fait jamais abstraction du contexte social et culturel. Cette approche riche d'enseignements permet de poser des jalons à l'histoire du vélo : période où elle apparaît aux élites comme un symbole de modernité, appropriation par les classes laborieuses, effondrement de sa pratique et comment elle a été chassée des villes pour l'automobile. Aucun aspect n'est négligé. Le livre explicite aussi très bien le tournant des années 70 qui marque dans certains pays et villes (surtout au nord de l'Europe) la renaissance de la petite reine alors que d'autres comme la France, filent dans le décor et prennent un retard considérable que nous peinons aujourd'hui encore à combler.

En replaçant le vélo dans un contexte de concurrence entre les différents modes de transports, l'auteur fait place nette dans les esprits et évacue toutes les idées reçues et les pseudos bonnes intuitions qui justifieraient la place du vélo dans les diverses pays européens. Surtout, ce contexte de concurrence est une incitation à élaborer des politiques visant à juguler la place de l'automobile (l'auteur parle plus volontiers de "modération") dans nos villes si nous voulons vraiment que le vélo reprenne la place qui lui est due et surtout que la circulation s'apaise.

En même temps, il hiérarchise parfaitement les motivations qui mènent à l'usage du vélo. En opérant ce tri, il donne des clés pour que le vélo gagne à lui de nouveaux publics trop souvent ignorés. Il insiste aussi sur le fait que le vélo comme tout mode de transport a besoin d'un système : pouvoir se déplacer rapidement et en sécurité certes, mais aussi pouvoir se garer facilement, faire entretenir et réparer, que son image et sa pratique soit promus, etc. L'absence d'un de ces maillons fragilise la totalité du système et la pratique du vélo ne décolle pas restant cantonnée à la marge.

Le livre se conclut par un essai de prospective. Cette petite partie me laisse plus dubitative. La place du vélo qui y est avancée me paraît tout à fait envisageable. Mais, je serai moins optimiste que l'auteur qui semble penser qu'une poussée d'aspirations sociales infléchira positivement le verdissement du capitalisme que nous connaissons actuellement et contribuera à une société plus démocratique. Je reste sceptique quant l'avènement de ce genre de progrès sans changement radical de société et de système économique.

Néanmoins, je ne peux que vous inviter à vous procurer cet ouvrage, vous l'aurez compris, c'est à la fois un excellent travail de compréhension du passé en même temps qu'une redoutable boite à outil pour agir et changer le présent et, espérons-le, le futur.

Le retour de la bicyclette, Une histoire des déplacements urbains en Europe de 1817 à 2050, Frédéric Héran, La Découverte, 2014.

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